Rudolph était tout contrarié ! Depuis des siècles c’était toujours lui qui paradait fièrement en tête du traîneau du Grand Barbu. Il faut dire que son nez rouge illuminant la nuit leur avait souvent permis d’éviter ornières et obstacles pendant les livraisons.
Fringant le jalousait depuis toujours et mourrait d’envie de prendre sa place pour que tous puissent l’admirer comme il se doit mais le boss était intransigeant sur le sujet : la sécurité avant tout.
Tonnerre était à ses côtés, en tête du troupeau. Sa force exceptionnelle permettait de tirer un poids qui dépassait la raison mais il y avait tellement d’enfants sages à gâter. Un jeûne de quelques jours pour perdre le gras accumulé depuis le Noël précédent et renforcer sa masse musculaire lui avait été conseillé par le vétérinaire mais si quelqu’un imaginait qu’il puisse se contenter d’une seule orange au goûter et bien il se trompait…
Cette année si particulière qui avait privé les petits de nombreux plaisirs et parfois même d’école, le Père Noël souhaitait l’effacer en leur offrant davantage de cadeaux soigneusement emballés par les lutins.
Et voilà que le premier ministre venait d’annoncer que dorénavant seuls les transports de marchandises électriques pourraient circuler dans le pays ! Il paraissait que les autres véhicules étaient trop bruyants et empêchaient les experts de tout poil de se concentrer.
En général l’équipage de Noël glissait sur la neige tassée, en silence ou presque. Un tout petit chuintement se devinait si on tendait très, très fort l’oreille. Par chance il n’y avait ni roues ni moyeux sur le traineau, et par conséquent aucun risque de grincement intempestif.
Il est vrai que par moment les clochettes soigneusement disposées autour du cou des cervidés par la Mère Noël tintinnabulaient à qui mieux mieux. Ils seraient tristes de ne pas pouvoir exprimer leur joie en sautillant mais peut-être qu’en disposant des étoiles comme des rayons de soleil au centre et sur les côtés du traineau ça compenserait un peu. Peut-être même que des batônnets produisant des étincelles pourraient animer un peu la scène. Il était impératif que les enfants éveillés la nuit écarquillent les yeux au passage du traineau de Noël !
Il n’était pas question de faire comme Saint-Nicolas, seul avec son âne pour délivrer les jouets discrètement la nuit du 6 décembre. A défaut de faire du bruit il fallait au moins que ça brille !
Thimoté ignorait bien sûr les états d’âme des rennes mais il avait été bien sage et espérait recevoir les cadeaux demandés. Il avait déposé sa liste dans la boîte aux lettres spéciale Noël et n’avait nul doute de les trouver le 25 décembre au pied du grand conifère qui trônait depuis quelques jours dans un coin du salon.
Il savait qu’il devrait encore être sage pendant le repas de réveillon en famille et supporter l’introït incontournable de la messe de minuit où sa grand-mère les entraînait chaque année. Et puis, comme chaque 24 décembre, il espérait de toutes ses forces ne pas s’endormir avant d’avoir vu briller le nez rouge de Rudolph dans la nuit. Et si ce n’était pas cette année, ce serait sûrement l’année prochaine .