J’ai reçu ce jour, en commentaire (mon bouton contact m’ayant lâchée à mon insu 🙄), la participation ci-dessous envoyée par La Craie pour l’agenda ironique de mai 2022.

Amours sibyllines

« Holala, qué tal ? » que j’lui d’mande, quand je le trouve tel un couteau émoussé sur mon paillasson. Il est là devant moi avec un « look » qu’on pourrait dire syllogomane, s’il n’était aussi celui d’un bec à foin. Son imper, qui a un coin du col à l’envers et l’autre drossé telle la proue d’un navire échoué, a les poches pleines de bouteilles, de livres, de sandwichs entamés et de je ne sais quoi dissimulé dans les profondeurs. Il a une casquette américaine, tachée, froissée aux attaches cassées, un bandana rose au cou, ses lunettes auxquelles manque une branche pendent de quinguois sur son nez qui a connu des jours meilleurs aussi. Ho, sa chemise ! Sa belle chemise que je lui avais offerte, a perdu un bouton, gagné des taches de sauce tomate ; de la poche décousue d’un coin dépasse un flyer d’un zoo, on voit une tête d’oiseau couleur de foin, avec un énorme bec.
Je l’aime et il m’est revenu, tout de même, après m’avoir abandonnée sans explication. Sans explication et sans réelle raison. Sans raison mais pas sans motifs. Pas sans motifs, ça non je l’admets.
Son air dépenaillé par trois jours d’errance par la ville. Par la ville où il a du s’égaré à la recherche d’un sens à son malaise. Ce malaise que je le voyais éprouver, dés avant la crise. La crise que j’ai déclenchée il y a trois jours, quand il s’est enfui, quand il est sorti.
Il est sorti chercher des cigarettes. hahaha.
Alors le voila devant ma porte, notre porte, où quand même il a sonné. Il a sonné ce que j’apprécie parce que ça veut dire que son comportement n’est pas un manque de respect à mon égard. Il est là devant moi, bouleversé comme un terrain vague, la tête baissée sous des cheveux pis que dépenaillés. On dirait un chat de gouttière, de ces matous sans feu ni lieu « dont un seul regard te donne envie d’une piqure d’antibiotique ». « holala ». sans arrière-pensée, aussi bizarre que cela puisse paraître. Car cela serait somme toute normal, non ? Normal d’avoir des … ressentiments, des doutes , et des états d’àme de voir reparaitre celui qui m’a laissée là . Laissée là alors que j’venais d’lui dire…
Alors j’ai dit « qué tal ? ». Qué tal, comment ça va ? Certes il a l’air de ne pas aller très bien. Mais ! Ça ne me gène pas. Moi. Moi et mes manières ailurophiles qui me font ramasser les chats de gouttière du quartier, « dont un seul regard te donne envie d’une piqure d’antibiotique ». J’ai compris la panique que lui a occasionné mon annonce. Mon annonce venant de la part d’une ailurophile lui a fait craindre de se retrouver au milieu d’un délire sylogomane, dans cette nouvelle situation. Nouvelle situation non concertée, décidée par moi comme une coquecigrue remettant en question son petit quotidien qu’il croit ordonné. Ordonné, mon œil, lui a ses manies. Ses manies sont ludiques, elles paraissent innocentes comme les jeux des enfants, n’est-ce pas ? N’est-ce pas, quand même étrange, à son age de passer autant de temps à jouer ? Certes, il argue, « Islanders sollicite les capacités supèrieures, d’organisation ». Organisation d’une cité imaginaire surtout ! Surtout un refuge, hors du monde réel. Le monde réel où les réfugiés se multiplient, et n’y ont pas leur place, alors… Alors surement que mon annonce a sonné le tocsin de sa manie de l’ordre dans le monde où il serait le maitre. Le maitre ou une sorte d’esclave volontaire. Alors … ?
Alors, il a levé des yeux grand ouverts, clairs et gris comme le ciel quand la pluie a cessé mais que le soleil n’a pas évaporé la fraicheur. La fraicheur de son sourire, quand il a dit « tu as raison ».
Bon, voilà, on va avoir un bébé.

Note: Islanders (jeu vidéo)