Bon alors je vous explique…
En ce beau mois de juin, c’est Le retour du flying bum qui héberge l’AI sur le thème du pique-nique.
Comme je l’ai fait le mois dernier pour le texte de La Craie, j’ai accepté, avec plaisir, d’héberger le texte de mon ami Donald qui ne possède pas de blog.
J’ignore s’il y a quelque part un point qui dit que, pour participer, il est obligatoire d’avoir son propre blog? 🤔
Bref, je vous livre son texte ci-dessous et lui laisse le soin de répondre lui-même à vos commentaires bien sûr.
Ah oui, il est évident qu’il ne devra pas figurer dans le tableau des organisateurs potentiels pour juillet 😉.
Pique-nique automnal
par Donald Bilodeau
En ce début d’après-midi, près de l’étang du parc La Fontaine, une nappe aux motifs de damiers carmin habille un tout petit bout de pelouse. Au centre de celle-ci, un gros panier en osier y trône fièrement, laissant entrevoir une doublure de coton protégeant ce qui semble être un véritable festin de roi. Une bouteille de vin rosé Carrelot des Amants est au frais dans une petite glacière et tout près d’elle, déposées côte à côte, deux coupes en plastique, n’en étant pas moins raffinées pour autant, attendent patiemment l’instant fatidique, ne demandant qu’à être remplies, désirant sans l’ombre d’un doute trinquer au bonheur, aux retrouvailles. Çà et là dans les arbres, écureuils et oiseaux divers observent avec intérêt cet intriguant pique-nique qui pourrait s’avérer être, pour eux, plus alléchant qu’un gigantesque trésor. D’autant plus que dans les semaines à venir, ils savent très bien qu’il leur faudra sérieusement penser à faire des provisions en prévision de l’hiver à venir. L’occasion ici est donc en or.
Le cœur de Marco, printanier et rempli d’espoir, contraste avec cet octobre naissant. Pourtant, ce bel automne, qui s’avère chaud et ensoleillé, sait bien redonner ses lettres de noblesse à cette période où l’équinoxe vient tout juste de passer, notamment grâce à la beauté de la nature ainsi qu’à sa magnifique palette de couleurs. Dame Nature dans toute sa splendeur, à l’œuvre, comme toujours. À preuve, tous ces arbres du parc La Fontaine, certains flavescents comme les blés, d’autres orangés comme le sable d’Afrique ou encore rouges comme le Beaujolais nouveau et qui provoquent chez les passants plus d’un frisson d’émerveillement et d’étonnement. D’ailleurs, ils sont nombreux, ces Montréalais, à profiter des derniers beaux jours de l’année, avant la venue des pluies froides de novembre et des vents glacés de décembre, accompagnés très souvent d’un lot de surprises météorologiques de tout genre. Mais Marco ne regarde pas ces gens, pas plus qu’il ne remarque les oiseaux ou les écureuils. Non. Il est assis sur la nappe et il attend, il attend, il attend.
Le cœur de Marco tambourine dans sa poitrine. Parce qu’il attend Julie, à qui il a donné rendez-vous en ce jour. Julie qu’il avait jadis tant aimée et qu’il aime encore autant, mais qui, voilà deux ans, avait mis les voiles vers une autre destination, une autre existence. Sans tambour, ni trompette. Telle une amante amphigourique, sans doute même malheureuse, mais sans réellement savoir pourquoi. Sans en connaître les raisons ni les facteurs. Fidèle et confiant, Marco l’avait attendue pendant des jours, des semaines, des mois, sans ne jamais cesser de croire en cet amour. Sans ne jamais perdre la foi, sans ne jamais accepter de voir s’éteindre la flamme. Toutefois, il doit bien l’admettre, la pause fut longue. Très longue. Trop longue. Jusqu’à ce samedi du week-end dernier où la belle a enfin effectué son retour. Par téléphone, comme si de rien n’était, comme si elle était partie la veille pour rendre visite à une copine et qu’elle revenait à la maison le lendemain. Tout bonnement, sans autre explication à donner. À la fois heureux et prudent, mais aussi un brin méfiant, Marco tenait absolument à revoir Julie, c’était indiscutable. Néanmoins il préférait que cela se déroule ailleurs qu’à la maison, en terrain neutre. Par exemple, dans un parc. Et pourquoi ne pas la convier à un pique-nique, au parc La Fontaine, leur lieu commun préféré de Montréal ? Mais oui, quelle bonne idée ! De toute évidence, Marco visa dans le mille puisque Julie accepta la proposition et promit d’être là à treize heures pile.
Le cœur de Marco angoisse, se décourage. Le temps passe et Julie n’arrive pas. Deux nuages défilent. Quatorze heures… Quinze heures… Tic-tac, tic-tac, tic-tac… Les aiguilles de sa montre le taquinent, l’agacent, le désespèrent. Couchées sur la nappe, les deux coupes de vin s’ennuient et la bouteille de rosé, embuée, déposée dans cette glacière devenue soudainement trop grande, semble insensée, inutile. Les écureuils s’en vont, les oiseaux s’envolent, il n’y a plus que les fourmis curieuses qui tentent leur chance en s’approchant du panier en osier. Et ces guêpes, maudites et vilaines, attirées par les odeurs qui se mélangent. Mais Marco ne les aperçoit pas. Ses pensées vont et viennent et s’affolent. Ce que l’on craint arrive plus facilement que ce qu’on espère, certes, mais que fait donc Julie ? Qu’est-ce qui peut bien la retarder ainsi ? Comme si les deux dernières années n’avaient pas été assez longues et pénibles pour lui, pourquoi fallait-il maintenant que le destin en rajoute une couche ? Une simple petite minute lui semblait désormais une éternité. Allait-il devoir engager un mouchard fourbe et véreux, ou pire encore un sycophante, afin de découvrir la vérité ? Marco a tout à coup l’étrange impression de jouer dans un mauvais film, d’être la vedette d’une histoire ridicule et sans fin logique.
Le cœur de Marco le sait bien, elle ne viendra pas. Les seize heures qui viennent d’arriver emportent avec elles ses derniers rêves. Comme le vent qui se lève brusquement et qui emporte au loin les feuilles mortes. Il n’a pas su ignorer les dangers où l’homme est souvent un otage. Comme s’il n’avait pas encore appris la leçon.
En cette fin d’après-midi où la température commence à se faire plus fraîche, une nappe aux motifs de damiers carmin, un peu chiffonnée, est à nettoyer et à plier. Le contenu du gros panier en osier, devenu nidoreux à force d’attendre des heures sous les chauds rayons de Galarneau, est à jeter. Et le Carrelot des Amants, attristé de n’avoir jamais aussi mal porté son nom, se désole pour deux coupes abandonnées. La lumière diminue d’intensité, le soir s’en vient sous peu, comme la noirceur dans le cœur de Marco. Mais l’espoir, tenace, sait renaître de ses cendres : « Le week-end prochain, peut-être… Oui, c’est ça, elle reviendra sûrement le week-end prochain ! ».
Voilà, ma mission de relais est remplie et j’espère que vous participerez au pique-nique de Donald 😊. Vos commentaires sont attendus ci-dessous.
Mon texte viendra bientôt également mais, en attendant, je vous souhaite une excellente journée.
très bien écrit ! Julie aurait aussi bien pu s’appeler Madeleine si elle avait été Belge espérons que Marco se consolera vite
Espérons-le aussi ! Merci pour votre commentaire.
Je me permets de te répondre aussi Hélène: très bien vu pour Madeleine…
Triste pique-nique en solitaire mais un très beau rendu.
Merci beaucoup Luc !
C’est très bien écrit et décrit… Triste histoire d’un lapin!
Merci beaucoup !
Merci Photonanie pour la publication de mon texte ! Une petite note, pour info : dans le dernier paragraphe, j’appelle le soleil “Galarneau”. C’est ainsi qu’on le surnomme au Québec. Cela provient notamment d’un roman de Jacques Godbout, paru en 1967. Voici ce que je viens de trouver sur le web :
Définition : Le soleil.
Exemple 1 : Expression tirée du roman “Salut Galarneau”, de Jacques Godbout (1967). « -Salut Galarneau ! Bonjour Soleil ! -C’est papa qui disait ça en se levant le matin. Il disait: “notre père à tous, c’est le soleil, il s’appelle Galarneau lui aussi, comme nous”. »
Exemple 2 : “Tiens, Galarneau a décider de se montrer aujourd’hui !”
“a décidé”, bien sûr…
Sois le bienvenu dans l’Agenda Ironique.
Tu nous racontes une bien belle et triste histoire, mais on n’y peut rien, c’est la vie.
Peut-être Julie viendra-t-elle au rendez-vous dans une prochaine participation à l’AI.
Merci pour le commentaire, et merci pour l’idée !
Beau texte ! Espérons donc une surprise la week-end prochain.
Merci !
J’aime l’entraide entre les gens de ce petit groupe de l’AI :) Bravo
J’ai pensé en lisant ce texte de pique-nique automnal à la chanson”Un monsieur attendait” de Georges ULMER de 1966. La demoiselle était bien venu au RDV, mais hélàs, la belle s’était trompée de café, elle revenait chaque jour, et lorsque les deux tourtereaux s’aperçurent de la méprise, la promise était devenue la femme du cafetier d’en face. ( le manège d’attente avait duré 40 ans!= J’ose espérer que Marco n’attendra pas aussi longtemps :)
Je connais Georges Ulmer de nom, mais pas la chanson. Je vais découvrir cela tout de suite ! Merci pour le beau commentaire.
Joli récit émouvant. Pauvre Marco. L’amour lui donne beaucoup de patience. J’espère qu’il reverra sa demoiselle comme il le souhaite. Bonne journée
Je le lui souhaite, moi aussi ! Surtout que le parc La Fontaine est si joli, il vaut mieux être heureux que triste lorsqu’on s’y promène…
Joli texte et en le lisant je pensais à la chanson de Jacques Brel qui attend Madeleine qui ne viendra pas.
Merci Isabelle-Marie !