Quand je sers de relais pour l’agenda ironique

Comme mon ami Donald a pris goût à notre petit challenge mensuel d’écriture, je me fais à nouveau un plaisir d’héberger son texte pour l’AI de septembre proposé par Mijoroy.

Je vous souhaite une bonne lecture.

Le vilain petit cochon

par Donald Bilodeau

Jean-Pierre ne veut surtout pas faire chou blanc, comme ce fut le cas la dernière fois avec Doris, elle qui avait fondu comme beurre au soleil. Cela avait frôlé la catastrophe et c’est là un épisode qu’il veut oublier à tout jamais. À présent, avec Lucie, sa toute nouvelle rencontre sur internet, il désire que tout soit parfait. Pas question de faire de la bouillie pour les chats. Et même s’il est fauché comme les blés, cet homme au cœur d’artichaut se démène toute la journée pour préparer un inoubliable festin pour celle qui arrivera à 19 heures pile, tel que convenu. Mais il y a anguille sous roche et, de toute évidence, il est sur les charbons ardents. Le vilain petit cochon.

Lui qui chante comme une casserole n’oublie pourtant pas de penser à la musique. Cinq CD dans le lecteur, presque six heures de concert : une goutte de lounge, une pincée de jazz, un soupçon de franco, le tout saupoudré de baroque, Bach et Vivaldi parmi tant d’autres. Il dresse une table exquise, recouverte d’argenterie et de fine porcelaine, le tout déposé sur la riche dentelle de la nappe. Le vin blanc, un Sancerre, est de grand cru. Au menu, une entrée de crevettes, mangues et avocats, puis comme plat de résistance, un carré de porc mariné dans du vermouth italien et déposé sur une couche de fenouil frais, et comme accompagnement, une purée de carottes et de navets blancs entourée de quelques asperges, grandes et minces, comme Lucie, selon les photos du site de rencontres. En somme, il met les bouchées doubles pour ne faire d’elle qu’une bouchée. Le vilain petit cochon.

À l’heure prévue, la belle dame arrive. C’est bien, elle ne lui a pas posé un lapin. Réellement grande et mince, sculpturale, la voix chaude et basse, elle est souriante et semble frondeuse, avoir du caractère. Elle porte autour du cou un joli foulard de soie. Elle est sans doute un peu trop maquillée pour l’occasion, mais il ne s’en formalise pas. Peut-être même qu’il ne remarque pas ce genre de détails, tout simplement. Aussitôt après lui avoir ouvert la porte, Jean-Pierre, qui se prend une châtaigne devant tant de beauté, l’installe au salon et va verser les apéritifs. La lumière de la pièce est tamisée et l’endroit inspire la sérénité. L’homme rapplique avec deux coupes de kir royal. Il trinque avec elle. Elle est novice dans ce domaine, car c’est la première fois qu’elle goûte à ce surprenant mariage d’un champagne sec et pétillant avec la crème de cassis rouge et sucrée. Une gorgée, puis une deuxième, une troisième, une quatrième… Ouf ! Un vrai délice ! se dit-elle en son for intérieur, heureuse de cette délectable découverte. Cet élixir mérite bien son titre de royal. Elle commence à avoir chaud et, discrètement, elle ouvre sa blouse en dégageant le premier bouton, sans déplacer son foulard de soie. Mais malgré l’ambiance chaleureuse, Lucie est mi-figue, mi-raisin face à son hôte. Il ne s’en rend pas compte, mais une crainte nait dans ses beaux yeux fardés. En effet, elle le trouve un peu pressé et trop entreprenant. Elle n’est pas certaine qu’il ait tout compris. Le vilain petit cochon.

Tout de même, le premier kir terminé et le deuxième fraîchement versé, l’alcool commence déjà à arrondir les angles, à mettre de l’intimité dans les voix. La mayonnaise prend, bref tout baigne dans l’huile. Puis vient le moment de passer à table afin de débuter le repas. Jean-Pierre se rend dans la cuisine et s’y attarde quelques minutes avant de réapparaître dans la salle à dîner avec les deux verrines contenant l’entrée de tartare de crevettes nordiques, une entrée tout en fraîcheur qui semble vraiment appétissante. Mais avant de commencer à manger, Lucie demande au maître de la maison la direction pour se rendre à la salle de bain. Elle veut, lui dit-elle, se laver les mains et se rafraîchir un peu. Il sourit en osant penser que, plus tard dans la soirée, elle passera sûrement de la salle à dîner à la salle de bain et, ensuite, de la salle de bain à la chambre à coucher. Le vilain petit cochon.

Pendant qu’elle s’exécute, une idée folle passe par la tête du vilain petit cochon. Alors qu’il voit le sac à main de son invitée posé sur la chaise, il s’en approche, l’ouvre et se met à fouiller dedans, sans vergogne. Pourquoi donc recevoir cette femme chez lui si, au départ, il ne lui fait pas confiance ? En une fraction de seconde, il se pose lui-même la question, mais il n’a ni l’envie ni le temps d’y répondre. Il se trouve presque ridicule d’agir de la sorte et devient sur-le-champ rouge comme une tomate, mais sa peur d’être pris pour un jambon est plus forte que sa raison. Tout à coup, il aperçoit le permis de conduire de la dame glissé dans l’une des pochettes du sac. Il le prend et le regarde, et comprend bien qu’il vient de se faire rouler dans la farine. Il se trouve que cette « elle » s’avère en réalité être un « il » ! Nom inscrit : Vallières, Luc, sexe : M. Sa respiration devient ardue, il est trop tard, c’est la panique totale. Il a dû se tromper de section lors de sa recherche de l’âme sœur sur le site de rencontres, il n’y voit pas d’autre explication possible. Et c’est ainsi que le souper romantique du pauvre bougre s’est terminé en queue de poisson ! Comme quoi les gamins pressés ratent parfois le dessert. Maintenant, le voilà bien pris dans la mélasse, le vilain petit cochon.

*****

Voilà, j’espère que vous aurez pris autant de plaisir que moi à découvrir l’histoire de ce vilain petit cochon.

Je vous reviendrai prochainement avec mon propre texte si toutefois l’inspiration daigne me visiter…

Et c’est l’occasion pour moi de me poser une question sur la longueur des textes à proposer pour l’agenda ironique. J’ai lu un règlement, qui date d’il y a quelques années, qui préconisait de la concision, le texte ne devant pas dépasser 800 mots. De nos jours on a des textes de longueurs et de styles très variables.(Pour info, le texte de Donald comporte 943 mots). 

Quelqu’un, parmi les habitués, sait-il s’il existe encore un règlement ou si chacun fait, fait, fait, c’qui lui plaît, plaît, plaît (air connu 😊)?

Et si la liberté totale est de mise, alors continuons sans contrainte, considérez que je partageais juste ma réflexion 😉

Cet article a 16 commentaires

  1. mijoroy

    Merci Donald pour cette histoire de vilain petit cochon trop empressé, qui rejoint par certains côtés celle que j’ai proposé dans les commentaires de mon blog, avec une première fois pour un mojito :)

    Quant au questionnement pour la longueur des textes proposé pour l’AI, j’avoue m’être aussi interrogée sur cela sans avoir de réponse.

    1. Donald

      Merci pour votre commentaire Mijoroy. :good: Quant à la longueur des textes, si jamais il y a un règlement spécifique, vous me le direz, je le saurai pour la prochaine fois. Pour ma part, il n’était pas question de créer des textes qui totalisent plus d’une page, une page et demie maximum… :bye:

  2. gibulène

    amusant, on aimerait savoir comment il s’en est sorti :-D

    1. Donald

      C’est vrai que ça pourrait être intéressant… il faudra une suite ! :mail:

  3. Mo

    Bonjour Bernadette et Donald,
    J’ai adoré ce texte humoristique et la phrase qui clôt chaque paragraphe “Le petit cochon”.
    Bon après-midi,
    Mo

    1. Donald

      Merci pour votre appréciation, Mo ! :-) Salutations ! :bye:

  4. tiniak

    Tellement astucieux et malicieux, j’applaudis ! B-)

    1. Donald

      Merci beaucoup, c’est très gentil ! :good: :bye:

  5. John Duff

    Très amusant. J’imagine qu’il y a eu un froid lorsque la dame est ressorti(e) de la salle de bain. Qu’est-ce qu’ils se sont dits ?

  6. Donald

    Un froid… ou à tout le moins un sérieux malaise ! :yes: L’un des deux a dû s’inventer un quelconque mal de tête… LOL. :yahoo:
    Merci pour votre commentaire, John ! :good:

    1. Donald

      Il faut croire que la gourmandise m’inspire ! :yahoo: Et en effet, j’ai été bien inspiré pour ce texte. J’en suis bien content. :yes:

    1. Donald

      Très bien, cette sagesse populaire, merci ! :good: :bye:

  7. mijoroy

    Tadaaammm l’heure des résultats a sonné.

    La lauréate gourmande est Victor Hugotte du Blog GRAIN DE SABLE avec : “Entretien avec un Onion Braisé: le chef le plus prometteur de l’année” 5 voix

    Se serrent les coudes sur la deuxième marche du podium Carnets Paresseux et Tout l’opéra ou presque avec respectivement chacun 3 voix

    Sur la troisième dent de la fourchette se coincent Gibulène, le petit escargot et l’Atelier de Christine avec chacune 1 voix.

    En ce qui concerne le passage du flambeau pour l’AI OCTOBRE, Carnets Paresseux a été plébiscité 4 voix.
    Toutefois Luc St Pierre et Bernadette (Photonanie) se sont portés volontaires. Je laisse ces trois là s’organiser pour la suite.

    Merci à toutes et tous pour votre participation active à ce premier AI organisé par mes soins. Je vous promets de m’améliorer la prochaine fois pour une présentation des votes plus pertinente :)
    Bon mois d’octobre à toute la team des agendadaïstes.

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