Quand je sers de relais pour l’agenda ironique
- Publication publiée :14 septembre 2022
- Post category:Agenda ironique/Ecriture
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Comme mon ami Donald a pris goût à notre petit challenge mensuel d’écriture, je me fais à nouveau un plaisir d’héberger son texte pour l’AI de septembre proposé par Mijoroy.
Je vous souhaite une bonne lecture.
Le vilain petit cochon
par Donald Bilodeau
Jean-Pierre ne veut surtout pas faire chou blanc, comme ce fut le cas la dernière fois avec Doris, elle qui avait fondu comme beurre au soleil. Cela avait frôlé la catastrophe et c’est là un épisode qu’il veut oublier à tout jamais. À présent, avec Lucie, sa toute nouvelle rencontre sur internet, il désire que tout soit parfait. Pas question de faire de la bouillie pour les chats. Et même s’il est fauché comme les blés, cet homme au cœur d’artichaut se démène toute la journée pour préparer un inoubliable festin pour celle qui arrivera à 19 heures pile, tel que convenu. Mais il y a anguille sous roche et, de toute évidence, il est sur les charbons ardents. Le vilain petit cochon.
Lui qui chante comme une casserole n’oublie pourtant pas de penser à la musique. Cinq CD dans le lecteur, presque six heures de concert : une goutte de lounge, une pincée de jazz, un soupçon de franco, le tout saupoudré de baroque, Bach et Vivaldi parmi tant d’autres. Il dresse une table exquise, recouverte d’argenterie et de fine porcelaine, le tout déposé sur la riche dentelle de la nappe. Le vin blanc, un Sancerre, est de grand cru. Au menu, une entrée de crevettes, mangues et avocats, puis comme plat de résistance, un carré de porc mariné dans du vermouth italien et déposé sur une couche de fenouil frais, et comme accompagnement, une purée de carottes et de navets blancs entourée de quelques asperges, grandes et minces, comme Lucie, selon les photos du site de rencontres. En somme, il met les bouchées doubles pour ne faire d’elle qu’une bouchée. Le vilain petit cochon.
À l’heure prévue, la belle dame arrive. C’est bien, elle ne lui a pas posé un lapin. Réellement grande et mince, sculpturale, la voix chaude et basse, elle est souriante et semble frondeuse, avoir du caractère. Elle porte autour du cou un joli foulard de soie. Elle est sans doute un peu trop maquillée pour l’occasion, mais il ne s’en formalise pas. Peut-être même qu’il ne remarque pas ce genre de détails, tout simplement. Aussitôt après lui avoir ouvert la porte, Jean-Pierre, qui se prend une châtaigne devant tant de beauté, l’installe au salon et va verser les apéritifs. La lumière de la pièce est tamisée et l’endroit inspire la sérénité. L’homme rapplique avec deux coupes de kir royal. Il trinque avec elle. Elle est novice dans ce domaine, car c’est la première fois qu’elle goûte à ce surprenant mariage d’un champagne sec et pétillant avec la crème de cassis rouge et sucrée. Une gorgée, puis une deuxième, une troisième, une quatrième… Ouf ! Un vrai délice ! se dit-elle en son for intérieur, heureuse de cette délectable découverte. Cet élixir mérite bien son titre de royal. Elle commence à avoir chaud et, discrètement, elle ouvre sa blouse en dégageant le premier bouton, sans déplacer son foulard de soie. Mais malgré l’ambiance chaleureuse, Lucie est mi-figue, mi-raisin face à son hôte. Il ne s’en rend pas compte, mais une crainte nait dans ses beaux yeux fardés. En effet, elle le trouve un peu pressé et trop entreprenant. Elle n’est pas certaine qu’il ait tout compris. Le vilain petit cochon.
Tout de même, le premier kir terminé et le deuxième fraîchement versé, l’alcool commence déjà à arrondir les angles, à mettre de l’intimité dans les voix. La mayonnaise prend, bref tout baigne dans l’huile. Puis vient le moment de passer à table afin de débuter le repas. Jean-Pierre se rend dans la cuisine et s’y attarde quelques minutes avant de réapparaître dans la salle à dîner avec les deux verrines contenant l’entrée de tartare de crevettes nordiques, une entrée tout en fraîcheur qui semble vraiment appétissante. Mais avant de commencer à manger, Lucie demande au maître de la maison la direction pour se rendre à la salle de bain. Elle veut, lui dit-elle, se laver les mains et se rafraîchir un peu. Il sourit en osant penser que, plus tard dans la soirée, elle passera sûrement de la salle à dîner à la salle de bain et, ensuite, de la salle de bain à la chambre à coucher. Le vilain petit cochon.
Pendant qu’elle s’exécute, une idée folle passe par la tête du vilain petit cochon. Alors qu’il voit le sac à main de son invitée posé sur la chaise, il s’en approche, l’ouvre et se met à fouiller dedans, sans vergogne. Pourquoi donc recevoir cette femme chez lui si, au départ, il ne lui fait pas confiance ? En une fraction de seconde, il se pose lui-même la question, mais il n’a ni l’envie ni le temps d’y répondre. Il se trouve presque ridicule d’agir de la sorte et devient sur-le-champ rouge comme une tomate, mais sa peur d’être pris pour un jambon est plus forte que sa raison. Tout à coup, il aperçoit le permis de conduire de la dame glissé dans l’une des pochettes du sac. Il le prend et le regarde, et comprend bien qu’il vient de se faire rouler dans la farine. Il se trouve que cette « elle » s’avère en réalité être un « il » ! Nom inscrit : Vallières, Luc, sexe : M. Sa respiration devient ardue, il est trop tard, c’est la panique totale. Il a dû se tromper de section lors de sa recherche de l’âme sœur sur le site de rencontres, il n’y voit pas d’autre explication possible. Et c’est ainsi que le souper romantique du pauvre bougre s’est terminé en queue de poisson ! Comme quoi les gamins pressés ratent parfois le dessert. Maintenant, le voilà bien pris dans la mélasse, le vilain petit cochon.
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Voilà, j’espère que vous aurez pris autant de plaisir que moi à découvrir l’histoire de ce vilain petit cochon.
Je vous reviendrai prochainement avec mon propre texte si toutefois l’inspiration daigne me visiter…
Et c’est l’occasion pour moi de me poser une question sur la longueur des textes à proposer pour l’agenda ironique. J’ai lu un règlement, qui date d’il y a quelques années, qui préconisait de la concision, le texte ne devant pas dépasser 800 mots. De nos jours on a des textes de longueurs et de styles très variables.(Pour info, le texte de Donald comporte 943 mots).
Quelqu’un, parmi les habitués, sait-il s’il existe encore un règlement ou si chacun fait, fait, fait, c’qui lui plaît, plaît, plaît (air connu 😊)?
Et si la liberté totale est de mise, alors continuons sans contrainte, considérez que je partageais juste ma réflexion 😉