« L’aurore sortait de l’océan sur son char de roses ». Il en avait déjà entendu des conneries se disait le Nain Glinspo[1] en entendant son voisin Groà déclamer des sornettes à la gamine, à peine pubère, qu’il avait recueillie mais là c’était le pompon !
La vérité était qu’il méprisait son voisin franchouillard, beauf comme pas possible et d’une bêtise sans limite.
Depuis que ce dernier avait décidé d’installer chez lui une sorte de Lolita des banlieues, il gonflait ses pectoraux et se prenait pour le coq du village. Il n’imaginait même pas que la gamine avait fugué de chez ses parents parce qu’elle avait un peu trop le feu au cul et ce couillon, croyant l’avoir séduite, l’avait invitée à partager ses allocations de chômage. Le couple le moins glamour de l’année…
Glinspo lui vivait seul, ronchonnait à longueur de journée et grommelait en bavant dans sa barbe. C’était pratique l’hiver parce que cette mauvaise habitude avait formé une espèce de trichobézoard qui lui tenait bien chaud au cou même si nombreux étaient ceux qui s’interrogeaient sur ce « tricot bizarre » porté été comme hiver.
Entre la gamine qui avait le feu au cul et le nain qui avait chaud au cou les noms d’oiseaux volaient souvent et pas que d’oiseaux d’ailleurs pour le grand plaisir du voisinage qui se poilait comme pas possible.
« Morue » lui criait-il, « Gros marsouin » répondait-elle et cela à longueur de journée par-dessus le mur mitoyen des jardins. A se demander si un certain lien ne se créait pas entre eux au travers de leur rituel très coloré.
Groà avait beau essayer de calmer le jeu les deux autres n’en démordaient pas. Et Groà de groasser « si c’est pas malheureux de devoir subir ça alors qu’on pourrait être si bien et boire une bière tous ensemble». Sa naïveté était consternante.
La vie s’écoulait inlassablement, tristement monotone, un jour chassant l’autre sans changement aussi subtil soit-il.
Un matin, Glinspo lança ses insultes par-delà le mur, une fois, puis deux puis trois et…rien ! Pas de réponse de la poison. Seuls les sanglots de Groà troublaient le silence. La gamine avait trouvé un autre pigeon à plumer et s’était envolée avec lui vers d’autres cieux.
A chaque nouvelle crise de larmes, Glinspo avait l’impression de ressentir des soulèvements de la terre de son jardin tellement les râles de son voisin grondaient gravement.
Heureusement, le temps qui arrange souvent bien les choses, atténua peu à peu la tristesse de Groà qui jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus[2] et il arrêta enfin de groasser à tout va.
Le quartier retrouva son calme mais Glinspo pensait parfois avec nostalgie au ping-pong verbal savoureux qui pimentait ses journées il y a quelque temps. Et il regrommelait de plus belle dans sa barbe en bavant…
[1] Le Ninglinspo est une rivière de Belgique
[2] Vous aurez reconnu le croassement du corbeau de La Fontaine qui présente de curieuses similitudes avec le groassement